Jean-Benoît Zimmermann

Je marche, dans des villes, dans des pays, que je connais, ou que je ne connais pas.

Je vois des gens qui me regardent, amicaux ou hostiles, ou indifférents.

Je les regarde, je les croise et j'ai envie de garder quelque chose de ma rencontre avec eux. Eux que je ne reverrai sans doute jamais. Eux qui parlent ou ne parlent pas la même langue que moi.

Au début des années 1980, à Shanghai, c'était un jeune homme qui pensait pouvoir communiquer en Espéranto avec nous. Nous, venus d'ailleurs et qui, plus rompus à l'anglais, ne connaissions pas même les rudiments de cette langue internationale.

Cependant en Chine, le rapport photographe-photographié était un jeu largement répandu et, malgré l'absence de langue commune, l'étranger pouvait facilement s'y couler, du moment qu'il ne se posait pas en voyeur mais acceptait les échanges de regards et de sourires.

Ailleurs le regard photographique est parfois plus difficile. Je vous vois, je vous croise ; j'ai envie de garder une trace de ce vécu, une image de vous. Mais oserais-je ? Je crains d'être mal pris. Je hais les images volées, qu'on dit prises à la dérobée. Je voudrais que mon image soit lien. Bien sûr un lien ténu et éphémère, celui dans une infime portion de seconde où le sujet fait entendre au photographe son accord pour lui laisser prendre son image, pour impressionner sa pellicule.

Impressionner était le mot, celui de la pellicule, faite de cellulose et de sels argentiques. Avec le numérique, la question est-elle vraiment différente ? Au lieu d'attendre l'instant authentique, on a désormais la possibilité de mitrailler en espérant qu'en sortira la bonne image. Pourtant la production d'une image reste bien davantage que la production d'un bien en série. Elle relève avant tout de l'histoire d'un rapport, d'une rencontre entre le photographe et son sujet.

Du moins ai-je envie de m'en tenir là.