Il y a déjà fort longtemps, au tout début des années 1980, j’avais envie de faire des photos de nu différentes de l’approche dominante, celle de Helmut Newton à Jean-François Jonvelle ou de bien d’autres photographes moins connus, celle qui alimentait par exemple la quasi-totalité des couvertures du magazine Photo. D’abord parce que la manière de mettre en avant la sensualité des modèles colportait à mes yeux une vision machiste de la femme. Ensuite et de manière corollaire, parce que cette photo se restreignait systématiquement au corps féminin, niant au corps de l’homme un quelconque intérêt photographique.
Plus sensible aux approches des grands classiques comme Edward Weston, Imogen Cunningham ou Herbert List, je voulais donner à voir les corps, sans artifice ni accessoire, ni effet visuel sophistiqué, mais dans leur simplicité, dans une nudité naturelle loin des attitudes et des poses outrancières. Sans pour autant exclure sensualité, voire érotisme. Dans cette démarche, mes modèles ont d’abord été des amis qui ont bien voulu se prêter au jeu, chez moi dans un studio improvisé avec des éclairages de fortune ou en vacances avec la complicité du soleil.
Ce faisant, dans un climat de respect et de confiance, le cadrage s’est resserré sur le corps, en faisant fi du visage et du regard du modèle, puis se rapprochant encore pour découvrir des paysages nouveaux où l’on finit par se perdre, oubliant le corps dans sa globalité. Avec les différents modèles, masculins et féminins, attitudes nouvelles, plis et nervures, textures et pigments des peaux, ont peu à peu contribué à une large gamme d’images dans laquelle l’identité et parfois même le genre de celles et ceux qui ont posé, s’effacent et disparaissent dans un total anonymat.
Mais comment donner un sens global à un tel corpus d’images, comment l’organiser pour pouvoir montrer un ensemble cohérent et intelligible ?
Aline Memmi m’a proposé d’écrire sur mes photos. Et, sur ces fragments photographiques, se sont greffés des mots, des phrases, des fragments de textes, donnant ainsi aux images des clefs de lecture nouvelles.
Ces nouveaux fragments, faits d’images et de mots, ont été accueillis par le CiPM, Centre international de Poésie de Marseille, pour une première exposition en 1997, à la Vieille Charité, dans un cadre où l’atmosphère feutrée et la pierre ancienne des murs et des colonnes offrait à nos « Fragments » un bel écrin.
Depuis lors, nous avons continué dans cette voie ; en ajoutant de nouvelles images, réalisées avec la complicité de nouveaux modèles, mais aussi en ré-explorant les images anciennes et y greffant de nouveaux mots.
En 1997, de nombreux visiteurs avaient regretté qu’un livre n’accompagne l’exposition. Ce livre existe désormais. « Des mots, des phrases courtes pour la plupart, se sont accrochés aux images. Comme une sensation jaillie, une émotion, une musique. Les mots devenus textes interrogent, s'insinuent dans les ombres et les courbes, composent à leur tour des fragments d'histoire. Et chacun, de l'image, des mots, ou de l'image dans les mots, y trouve émotion ou apaisement, humour parfois ou poésie ».
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© Textes Aline Memmi - Photographies Jean-Benoît Zimmermann